Thursday, August 17, 2006

"Qui...qui êtes-vous ?"

Le professeur se mit à accentuer progressivement le tremblement qui agitait sa main droite et le contenu de son verre tandis que l'homme sortit de l'ombre du coin du salon. Il n'avait rien senti, aucune présence, aucune odeur, et cet homme qui s'était infiltré chez lui comme un spectre venait d'entendre une preuve accablante de sa culpabilité. Il devait l'éliminer. Tout de suite.
Il continua à jouer l'homme surpris, piégé et coupable, tout en cherchant de sa main gauche le petit revolver à deux cartouches qu'il dissimulait dans sa manche.

"Je suis celui qui est venu vous prêter main forte, monsieur Acorte, dit l'homme.

"Acorte ? Vous devez faire erreur mon ami, on me nomme Adam Rosinski. Peut-être cherchez-vous un autre locataire de l'immeuble ?"

- Non, je ne pense pas me tromper monsieur, et ce que je viens d'entendre me conforte dans ma certitude. Vous êtes bien l'homme que je cherche, quel que soit votre nouveau caprice patronymique.

- Ce que vous venez d'entendre...? Allons, cher ami, ne voyez-vous point que je suis ivre ? C'est le sixième brandy que je bois et dans cet état je prends un malin plaisir à pousser des rires diaboliques dignes des crapules de James Bond...ne chantez-vous jamais devant votre miroir ?

- Cela peut m'arriver en effet, mais sachez que j'aurais peut-être eu moins de mal à déceler votre tentative d'attraper votre revolver si vous étiez vraiment ivre. Prenez le nom qu'il vous siéra mais laisser moi vous parler avant de m'éliminer. Je sais que la justice a peu de temps pour juger des meurtriers par les temps qui courent, mais ce serait tout de même dommage de refaire une quatrième copie du professeur Acorte car Adam Rosinski est en prison, vous ne trouvez pas ?

- De quoi parlez-vous ?

- Assez joué professeur. Je vais vous dire franchement ce que je veux. Vous êtes riche. Plus riche que la plupart des grandes fortunes de la planète. Je n'ai que faire des femmes, mon coeur est de pierre et mon passé m'a condamné à rester insensible à la chaleur humaine. J'aime l'argent. Le profit. J'aime voir des chiffres, des sommes, des bouts de papier et des zéros qui n'appartiennent qu'à moi.

- Et en quoi puis-je vous aider monsieur ? Moi qui ne suis qu'un vieux peintre alcoolique, j'ai des dettes de jeu et de comptoir partout où il est possible d'en avoir. Sortez de chez moi je vous prie, et puissiez-vous trouver votre ami avant que d'autres innocents aient à subir vos menaces. Au revoir monsieur.

- Votre voix n'a pas changé vous savez. Vous n'avez pas pris toutes les précautions lors de votre petit ravalement de facade. Je vais vous dire pourquoi je suis là, outre mes motivations financières. J'ai trois choses à vous montrer. La première chose est cette estimation du salaire que vous allez bientôt me verser. Je pense que ce ne sera pas un problème pour vous.

- Mais vous vous entêtez de plus belle ? Fichez le camp d'ici espèce de...

- De quoi ? De salaud ? De meurtrier ? Allons, "Adam", il y a belle lurette que ces substantifs ne vous effraient plus. La deuxième chose que je souhaiterais vous montrer est une chose que vous venez de voir."
L'homme s'empara de la télécommande posé sur la table basse, et recala l'enregistrement automatique des informations télévisées qui venaient de passer. Il accéléra la diffusion jusqu'à ce qu'on voie le routier en gros plan, puis avanca image par image pour caler l'arrêt sur un bras se dressant au dessus de la foule, et une main qui serrait une grosse pierre entre ses quatre doigts.
Acorte se sentait de plus en plus mal à l'aise, et de plus en plus curieux malgré tout. Il se retourna vers l'homme, qui le regardait intensément, très calmement. Celui-ci lui serra la main chaleureusement, et lui dit encore une fois : "Je viens vous prêter main forte, professeur. Enfin, quand je dis main forte..., ricana-t-il en levant sa main droite, amputée, comme celle qui serrait la pierre, des deux phalanges du majeur.
Acorte était bouche bée.
" Mais comment pouvez-vous être chez moi alors que vous étiez dans la rue en même temps, comme ces images le prouvent ?

- Et vous professeur, comment? le taquina l'homme.

- Pourquoi tenez-vous tant à travailler pour moi ?

- Je vous l'ai dit. Pour l'argent. Uniquement pour l'argent. Et aussi parce que j'ai une troisième chose à vous montrer. Sachez que je ne l'ai pas sur moi, mais je possède un enregistrement des caméras de surveillance de la Gamète. Oh, pas toute une journée ou une nuit, non, mais juste les quelques secondes où Lucy passe le sas de sécurité avec une carte au nom de Monsieur Mork. Ce nom vous dit quelque chose, peut-être."

Acorte devint blême.

"Effectivement. Ce nom m'a beaucoup accompagné dans le passé."

Il déglutit, se resservit un verre, puis en remplit un autre pour son hôte, qui, sans attendre une quelconque invitation, se vautra en soupirant d'aise dans le fauteuil opposé, certain que ces informations avaient suffi à mettre le professeur en confiance.

"Alors dites-moi, "Adam", voulez-vous bien me dire si vous avez une quelconque idée sur la destination de cette précieuse denrée qu'est Lucy ?

- Pourquoi vous intéressez-vous tant à elle si seul l'appât du gain vous motive ?

- Mais parce que je travaille pour vous, voyons. Et que vous vous posez la même question que moi. C'est pour ça que vous avez envoyé le jeune Mund la chercher, non ? Pour la trouver sans effort, en envoyant une personne en qui elle pourrait avoir confiance...Ma mission, si vous voulez bien me confirmer mon salaire, sera de le suivre à la trace jusqu'à ce qu'il nous mène à Lucy. Je suppose que Lhassa était une destination que Mork avait choisi, et que votre connaissance quasi-totale du coeur de cet homme vous a naturellement invité à guider vos recherches vers le Tibet. En revanche, je ne comprends toujours pas pourquoi vous l'avez éliminé.

Acorte regardait à présent son interlocuteur avec admiration. Comment savait-il tout ça, comment l'avait-t-il reconnu ? Et comment savait-il déjà qu'il avait parlé à Siegfried la veille ?
Il opta finalement pour faire confiance à cet homme, il serait toujours temps de l'éliminer si ses secrets commençaient à se diffuser.

- Parce que Mork était devenu un frein à notre projet après sa rencontre avec cette femme, cette femme merveilleuse dont la finesse d'esprit semblait en perpétuelle compétition avec la beauté physique, cette salope qui a tout fait foirer, cette garce qui a ôté toute envie à Mork de songer à exterminer les femmes de la planète. Voilà pourquoi je l'ai tué. Et voilà aussi pourquoi j'ai tué sa compagne, mademoiselle Mund, après qu'elle lui ai donné un fils. Mais ceci est secondaire puisqu'il est sous mon contrôle, et bientôt sous le vôtre aussi.

- N'était-ce pas de la jalousie pure et simple ? Ne vouliez-vous pas cette femme ?

- Cher ami, j'ai des projets bien plus ambitieux que de lire le journal en entendant brailler des gamins, dit le professeur d'un trait, en regardant sombrement l'homme.

- Mais tout de même, je connais les gens comme vous, nous sommes fait de la même matière immuable et stérile, mais cette matière nous l'avons créé pour durcir un coeur qui a souffert, n'était-ce pas simplement un crime commis à cause...

- Taisez-vous, le coupa froidement Acorte, vous ne savez pas de quoi vous parlez. C'était nécessaire au projet, rien de plus. Ce sujet est clos. Je vous verserai chaque mois la somme que vous venez de me demander, et je vous demanderai la plus grande discrétion au sujet de nos discussions, concrètes ou tacites. Je vous prierai aussi de bien vouloir trouver comment Lucy a pu rentrer en possession de la carte de Mork, et de me tenir informé de la moindre information que vous pourrez découvrir.

Acorte resservit un verre de liqueur à son nouvel employé, et, avec un regard lourd de sens, lui déclara très calmement : "Vous n'êtes pas mon seul mercenaire, et je n'hésiterais pas à vous faire abattre, j'espère que vous saurez vous en rappeler."

L'homme se contenta d'un sourire entendu.

"En tout cas je suis heureux que nous soyions parvenu à un terrain d'entente, et je vous garantis que je retrouverai ce merdeux et notre proie, "Adam".

Le professeur lui serra la main et le fixa d'un air complice.

"Allons, appelez-moi Acorte à présent. Monsieur...?

- Stephen. Appelez-moi Stephen."
Le spacieux appartement du professeur Acorte était baigné dans une lumière tamisée qui accentuait le style Renaissance du plafond et en arrondissait les coins les plus obscurs. Un microprojecteur efficacement dissimulé jetait au mur le journal télévisé du soir, présenté par un journaliste qui ne parvenait même plus à dissimuler les ravages des larmes qu'il avait dû verser avant l'émission, qui ne cherchait pas même à faire preuve de professionnalisme, tant son salaire, son emploi, son confort, perdaient leur sens à chaque seconde de diffusion des images qui défilaient dans l'encadré au coin de l'écran.
Des cadavres. Des mutilés. Des hommes qui hurlaient dans la rue. Des homosexuels qui défilaient fièrement en voyant à chaque instant un des leurs tomber sous les pierres de maris, de fiancés, de fils ou de fans, de pères ou même de clients. Mais ils continuaient à avancer en scandant "Adam avec Adam, croquons la pomme à pleines dents !". Plus loin on voyait des corps sans vie flotter dans la Seine, d'autres tomber comme de minuscules fientes d'oiseau de la Tour Eiffel, prise d'assaut pour l'occasion par tous les suicidaires qui voulaient être bien certains de ne pas rester dans ce monde sans sens. "Si en plus je reste paraplégique et que je ne peux plus réessayer, je vais devenir fou", confiait un homme au preneur de son de la chaîne, qui se faisait bousculer dans la longue file d'attente, en lent mouvement vers le haut, qui peuplait les marches de la structure métallique.
Et soudain l'écran se mit à diffuser d'autres images, celles tournées par une moto remontant à grand peine les Champs-Elysées grouillant d'une foule masculine.
On entendit des huées de plus en plus fortes, toutes tournées vers la même direction.
Le centre de convergence de ces exclamations n'était rien d'autre que l'Arc de Triomphe, sous lequel un homme en toge blanche s'adressait à la masse, armé d'un porte-voix qui couvrait avec grand peine le vacarme. Il répétait inlassablement "La Femme n'est plus! La Femme n'est plus!C'est la logique d'un monde que nous avons tué! Nous avons créé des idoles faits de foi ou de billets, d'irresponsabilité et de cupidité! C'est un juste châtiment car nous nous sommes écartés de la voie de la sagesse! Mais gardez l'espoir, mes frères, faites le Bien et occupez-vous de votre prochain, il y a toujours un espoir, et peut-être existe-t-il une contrée où des femmes nous attendent encore, et nous devons vivre pour aider les faibles et ceux qui ne croient plus, nous devons vivre parce que nous ne devons pas nous résigner! Toute punition appelle réflexion, et toute prise de conscience appelle récompense!"
Et l'homme reprenait sans fatiguer son discours, mot pour mot, à une foule qui braillait que son prochain était loin d'être aussi attirant que la femme qu'il fréquentait, que l'espoir avait malheureusement des seins et une douceur qu'ils n'auraient jamais plus, et qu'il valait mieux se foutre en l'air avant de commencer à défiler avec les tantouzes de Paris et y prendre goût.
Personne n'avait reconnu le professeur Acorte, transformé par les meilleurs chirurgiens de la Gamète et par les sept années qui le séparaient de son dernier portrait public.
Il exhortait toujours le public, et lorsque la caméra se tourna vers un routier quadragénaire pour qu'il démontre par A plus B que ce connard en drap de lit n'était qu'un de plus de ces pédés, une pierre décrivit une courbe au dessus de la foule et vint atteindre Acorte de plein fouet au front. La toge et l'estrade se maculèrent de rouge à une vitesse effrénée, et ce ne fut qu'après quelques secondes que quatre hommes jetaient le corps sans vie du professeur dans le caniveau, sur un autre tas de chair morte. Les gens hurlaient, se lamentaient, se déchiraient ou se supprimaient, mais certains, éblouis, semblaient puiser une force sourde des propos de ce prophète moderne, semblaient encore disposés à se servir de leur corps et de leur esprit pour explorer avec pragmatisme tout le mince espoir qui leur était offert avant de se résigner comme les autres à l'onanisme puis au suicide. Des jeunes, éblouis par le courage de cet homme, se penchèrent au sol pour soulever le cadavre comme un symbole au dessus de leurs têtes, et se mirent à organiser leur propre manifestation. Un vieil homme au regard aigri tentait de leur expliquer que cet homme était mort aussi vite que l'espoir absurde qu'il avait tenté d'insuffler, tandis qu'un jeune homme efféminé lui jeta froidement qu'il n'y aurait heureusement bientôt plus d'avatars de Ponce Pilate dans le futur. La discussion dégénéra rapidement, et bientôt l'image ne fut plus qu'une marée de bras, de jambes, de bâtons et de cris, avant de disparaître sèchement et de laisser place à une superbe ferme autrichienne, agrémentée de piaillements d'oiseaux et une inscription d'excuse aux téléspectateurs pour des raisons techniques.

"Excellent! Vraiment excellent! Ha ha! Je n'ai même pas eu à expliquer mes actes ou à être jugé, ces abrutis ont fait mon travail sans m'en présenter les contraintes ! Les imbéciles, ha ha, les marionnettes!"

Le professeur Acorte se gaussait encore devant la ferme autrichienne lorsqu'une toux rauque le fit renverser la majorité de son brandy sur la peau de tigre qui couvrait son parquet.

"Toujours aussi machiavélique à ce que je vois", dit l'homme.

Wednesday, August 09, 2006

Ca avait payé. Enfin. Il n’en revenait pas. Tout ce temps, il avait cru se tromper, il avait cru devenir fou, totalement paranoïaque. Mais il avait continué à observer avec détermination.

Stephen avait toujours soupçonné un lien entre le professeur Acorte et le jeune Siegfried Mund. De plus, il était convaincu que Acorte était encore en vie. Cela avait commencé quand il avait cru surprendre Acorte en train d’observer Mund depuis la mezzanine que formait le bureau du nouveau directeur au dessus des autres bureaux. Il avait pu se tromper, il était loin. Acorte était mort il y avait de cela des années. Il ne pouvait pas se trouver là.

Il avait alors observé Mund sans relâche, mais où bien ce dernier était le meilleur acteur qu’il ait connu, ou bien il ne se savait lui-même aucun lien avec Acorte. Il pensait alors s’être mépris sur ce lien qu’il croyait réel.

Puis il se souvint ce jour sept ans plus tôt où il avait pénétré dans le bureau de Acorte sans frapper, il avait vu ce dernier qui visionnait la fiche B.I.G. de Siegfried Mund. Un inconnu à l’époque. B.I.G. (Banque d’Identification Globale) était un système qui fichait chaque être humain identifié qui peuplait encore la planète. Ce système avait été mis en place par l’ APEH bien avant que Siegfried n’ait eu 10 ans, et le gros malin qui l’avait inventé avait dû trouver comique sa référence à « Big Brother ». Sûrement un de ces frustrés d’informaticiens à lunette qui se tripotent sur de vieux bouquins de science fiction.

Ce jour, Stephen avait été intimement persuadé qu’il existait un lien qu’il ne comprenait pas entre ce Mund et Acorte. Quand il avait vu Siegfried Mund en chair et en os pour la première fois se présenter à La Gamète il y a un an pour obtenir un emploi, tout ceci lui était revenu en mémoire. Il s’était rappellé de ce lien qu’il soupçonnait. Et ce lien lui permettrait à coup sûr de résoudre son affaire. Il avait donc renforcé la qualité de sa couverture et il avait décidé d’attendre. D’attendre encore. De pouvoir comprendre ce qui reliait ces deux personnes, d’apparence si différentes.

Il avait demandé à un ami flic de lui fournir les fiches B.I.G. des deux personnes. Bien évidemment, la fiche de Acorte était inaccessible. B.I.G. avait prétendu que les données avaient été perdues suite à une panne. B.I.G. en panne. Ce fichu ordinateur en avait de bonnes. Mais la fiche de Mund avait été plus instructive. Après l’avoir épluchée en long en large et en travers, elle ne lui avait pas appris grand-chose sur ce rêveur paumé de Mund. A croire que ce type s’était toujours battu pour ne pas devenir quelqu’un de remarquable.

Mais un point attira son attention. Le nom du père de Siegfried n’était pas mentionné. Siegfried portait le nom de sa mère. Encore un coup de cette foutue machine, ou plutôt de ses commanditaires. D’abord la fiche de Acorte, puis ce nom. Il ne mit pas longtemps à comprendre que Acorte était sûrement le père de ce ringard de Mund. On ne fait pas disparaître de B.I.G. n’importe quel nom. Et si ce n’était pas Acorte, çà devait être quelqu’un de tout aussi influent. Ce petit était décidemment pleins de surprises.

C’était il y a quatre ans déjà. Il n’avait jamais perdu de vue ses objectifs. Il avait été embauché à la mort de Acorte par un conglomérat asiatique plutôt louche qui ne croyait pas à cette mascarade. Il ne connaissait même pas le nom d’un seul de ses employeurs. Il devait retrouver Acorte si il existait, et expliquer à ses employeurs pourquoi ce dernier avait maquillé sa mort. La raison devait être d’une importance capitale, vu la somme rondelette qu’il touchait chaque jour depuis sept ans. Et il ne devait pas être le seul à faire cette enquête, il ne se faisait aucune illusion là-dessus. Il se demandait parfois combien de centaines ou de milliers d’autres inspecteurs minables remuaient la même fange que lui, se posaient les mêmes questions que lui, pour le compte des mêmes personnes.

Chaque jour il allait travailler à La Gamète comme les autres employés. Mais il observait patiemment, chaque jour, du matin au soir. Il savait que quelque chose arriverait. Et il savait que Mund aurait un rôle à jouer là-dedans.

Et c’était finalement arrivé.

Alors qu’il était en planque dans un bar en train d’observer Mund de loin, Acorte le foutu défunt avait franchi le pas de la porte et était parti directement causer avec le môme. Il n’en revenait pas. Tout ce temps il avait vu juste. Alors que tout ce temps il pensait être complètement à côté de la plaque. Acorte avait poireauté sept putains de longues années pour se pointer ce soir là dans ce bar là. Voilà qui allait lui rapporter une coquette somme d’argent.

Mais avant il devait continuer de coller au cul de Mund comme une mouche à la merde pour savoir de quoi ces deux-là avaient bien pu causer. Si il avait pu anticiper, il aurait collé un micro discret sur Mund, mais cette apparition fût tellement subite et inattendue, après tant de temps, qu’il s’était totalement laissé surprendre. Et Mund aussi, au vu de se tête de déterré.

Thursday, August 03, 2006

Lorsque le néon qui diffusait une reproduction de la lumière solaire commença à faiblir derrière la fenêtre teintée de la boîte en préfabriqué qui lui tenait lieu de bureau, Siegfried consulta machinalement l'horloge qui lui permettrait dans quelques secondes de quitter une routine pour replonger dans une autre. Il s'empara de ses effets personnels, et, malgré la voix monocorde dans son esprit qui lui enjoignait de regagner son appartement, sa douce cellule, ses plats préparés et ses angoisses solitaires, il se décida tout de même à retourner dans ce tripot obscur où il avait passé la nuit, et où l'homogénéité de ses acteurs passifs lui permettait de remodeler le monde à ses envies.
Une fois attablé devant une boisson adaptée à ses errances philosophiques, il repensa une fois de plus aux journées, aux nuits précédentes. Quel genre d'homme était-il ? Se pouvait-il qu'on puisse à ce point être lucide dans l'ivresse et si aveugle sur le sort du monde lorsqu'on s'y plonge, en travaillant un quota d'heures suffisant pour pouvoir faire du golf après, pour pouvoir manger à sa fin, s'endormir à la même heure, avec la certitude grisante qu'une bourde dans la tâche qu'on vient de parfaitement effectuer paralyserait une machine si bien huilée et légitimerait ainsi l'utilité de l'être humain ? Se pouvait-il que sa révolution ne vive jamais plus longtemps que la noirceur de la nuit et que son soleil aseptisé ne lui fasse voir que ce qu'il gagne à ne pas se poser de questions ? Certes, ses doutes et ses rebellions internes l'avait effleuré dans la journée, mais une fois le travail terminé, avec la certitude d'une vie éphémère, avait-il réellement envie de gâcher sa courte et précieuse existence à tenter un utopique bouleversement de valeurs instaurées depuis des siècles ?
Ce ne fut pas la seconde boisson qui lui apporta une quelconque réponse, ni la troisième, mais la personne qui franchit la porte alors qu'il recevait la suivante. Si son esprit était déjà quelque peu embrumé, il faillit défaillir en reconnaissant avec difficulté le visage dur et géométrique du professeur Acorte...décédé sept ans plus tôt.
Celui-ci, sans un regard pour l'employé qui ne l'avait aperçu que dans quelques lointaines conférences, prit place en face de Siegfried et lui déclara, avec un mépris teinté d'affection :

" Tu es bien le fils de ton père. Picoler dans un bistrot miteux pour se sentir vivant, vider des pintes pour oublier que ça fait mal d'être intelligent, et devenir créateur nocturne de théories renversantes pour excuser sa paresse dans la pratique... Heureusement qu'une infime partie des visionnaires de ce monde se sont mis des coups de pied au cul, sinon tes ancêtres seraient morts de la peste ou toi de cette connerie d'anthrax qui a pourri la fin du siècle dernier.

- Monsieur, dit Siegfried, choqué, je n'ai moi-même jamais connu mon père, et je ne pense pas qu'il ait jamais eu une quelconque once d'humanité ou de lucidité. Je sais qu'il était haut placé dans une entreprise compétitive et inhumaine, tout comme vous, et je sais qu'il fut, comme vous l'êtes, un collaborateur efficace à la création de machines à détruire. Je vous prierai donc de garder vos jugements sur l'hérédité de mes points de vue et de me laisser vaquer à mes vaines illusions.

- Ton père aurait répondu la même chose, Siegfried. Mais sache qu'une illusion n'est jamais vaine, ce n'est qu'un aperçu d'une beauté envisageable, et ça suffit pour être légitime, c'est de l'art. Il n'aimait pas que ses illusions appartiennent à d'autres, mais avait besoin des autres néanmoins, et de lieux comme celui-ci où il n'a malheureusement pas su se taire. Le fait est que nous deux gardons encore jalousement nos illusions, alors que celles de ton père l'ont mené à sa perte.

- Je ne vous comprends pas.

- Mon garçon, si j'ai choisi de t'embaucher-car oui tu ne m'as jamais vu, mais moi je sais qui tu es et que tu aurais besoin de moi-, c'est bien parce que je savais que je trouverai un écho à mes idées, à nos idées, après la mort de ton père. Vois-tu, mes recherches en génétique m'ont appris bien avant ta naissance qui tu serais, et je savais aussi qu'un jour ton père mourrait de l'impatience qu'il avait d'exposer ses idées. Il fut assassiné à la demande du Vatican et des dirigeants américains car le tournant qu'il voulait donner au monde menaçait toutes les fortunes de la planète. Je t'ai recueilli, j'ai supervisé toute ta croissance sans intervenir, et désormais il est temps pour toi de connaître le vrai projet, celui qui est caché des yeux du peuple et même des puissants par la gigantesque supercherie qu'est le projet "End's Eve".

- Mais mon père a toujours été un horrible calculateur, tout comme vous, et je n'ai jamais pris la peine de...

- Le bonheur de l'humanité se calcule aussi, Siegfried, maintenant laisse-moi finir, tu encaisseras après. Ce que je dois te dire est plus important que tes idées préconçues sur ce qui t'entoure et mon temps est désormais compté. Où en étais-je ? Ah oui, ton père et moi avons toujours su que pour faire naître notre projet et lui donner les moyens de ses ambitions, nous devions créer une entreprise puissante, en laquelle ceux que nous voulions atteindre auraient une confiance absolue. C'est chose faite puisqu'elle est désormais la plus puissante multinationale de ce monde. La Gamète est née bien avant celle qu'on a présentée au monde avec l'extinction des femmes, et, parmi les puissants loups du commerce et de la politque, nous ne semblons pas seulement être de la même espèce, nous sommes les chefs de la meute.
Vois-tu, ce virus que nous avons créé n'avait alors qu'un seul but, éradiquer de façon anonyme tous les opposants à l'évolution spirituelle du monde : les réactionnaires, les traditionalistes, les fanatiques religieux, tous ceux qui par leurs croyances anciennes empêchaient toute réforme humaniste. Ce sont ces cibles que nous avions choisies qui ont fait de ton père la leur. Il a manqué de discrétion, son enthousiasme et son orgueil l'ont fait parler trop tôt, probablement sous l'amour de l'alcool qu'il t'a malheureusement légué. Cependant, ton père, comme moi, savions qu'il y avait une alternative pour pousser les hommes au changement. Nous avons réfléchi à une façon de pousser l'humanité vers le bien, et la seule solution qui nous apparaissait était de créer le désespoir. Nous savions que sans pétrole, sans eau, sans nourriture, il existerait des hommes qui sauraient encore être heureux et vivre, même de façon précaire. Mais sans les femmes...l'humanité semblerait vouée au néant, à l'extinction, et seuls ceux qui ont de l'espoir, l'espoir de trouver encore une once de vie pour créer du bonheur, seuls ceux là pourraient comprendre l'utilité de cet extermination volontaire. Cette logique froide et implacable m'a été enseignée par ton père, mais je te l'ai enlevée. Je suis entièrement responsable de cette boucherie et j'assumerais cette responsabilité jusqu'à la mort qui m'attend. Je sais ce que tu penses de moi sur le moment, mais le plus grand défaut de l'homme est de ne pas concevoir un passé et un futur de l'humanité sans lui, mon grand défaut et de trop penser au futur pour avoir honte d'exterminer 3 milliards d'êtres pour créer enfin son bonheur à long terme.

- Vous êtes un monstre.

Certes, et je souhaite être encore plus monstrueux aux yeux de tes petits enfants, cela prouverait que l'humanité est plus humaine et légitimerait mon acte.
Je disais donc, que si cet holocauste était effectivement inqualifiable, la chance nous a cependant souri au milieu de toute cette horreur, grâce à notre puissance et nos relations. Mon comportement irréprochable aux yeux des dirigeants religieux et politiques de ce monde a permis d'éviter tout soupçon de collaboration avec ton père. Ces patriarches de la morale croyant avoir éradiqué leur ennemi le plus dangereux, et le mien, ils se sont logiquement tournés vers moi pour garder en secret cette femme africaine, et la soumettre aux analyses les plus poussées. Certains gouvernements m'ont proposé des sommes colossales pour l'obtenir, d'autres pour l'accoupler avec leur plus bel acteur ou meilleur athlète, d'autres encore, aux idées plus subversives, pour lui dépigmenter la totalité du corps et certains organes afin de la rendre pure à leurs yeux et digne de leur ethnie. Ils auraient peut-être donné ton prénom à l'enfant d'ailleurs...
J'ai refusé toutes ces propositions et me suis par là attiré la bénédiction de tous ceux qui attendent encore de formuler leur offre en traitant les autres de monstres. Néanmoins, cette femme n'aura qu'un seul mâle reproducteur, que moi seul ait choisi pour d'autres critères qu'un visage angélique ou une belle musculature. Ainsi, croyant avoir enfermé dans mes locaux, et sous bonne garde, l'avenir de leur société monstrueuse, les puissants de ce monde n'ont fait que me donner la clé de la dernière étape du projet qui scellait l'amitié de ton père et la mienne, et qui scellera à présent la nôtre. En réalité, cette femme possède déjà une réplique identique, ou possédait, puisque sa version clonée est actuellement dans mon appartement, les veines tranchées et l'estomac bien calé par deux douzaines de barbituriques. Tu en déduiras sans doute que j'ai fait "suicider" mon clone de la même manière voilà sept ans...Demain le monde apprendra le décès dramatique de la dernière femme existant sur Terre, et les hommes seront acculés à l'évidence de la fin du monde. Lors de mon exécution, je clamerai haut et fort qu'il faut garder la foi, la vraie, celle d'aucune église, synagogue ou mosquée, et j'exhorterai le peuple à suivre la voix de la sagesse, à attendre le messie, à chercher l'amour sans les femmes, à chercher les femmes aussi, à penser à ce que demain aurait pu être et à croire encore que demain pourra être, si nous le voulons tous. Je leur crierai de chercher la flamme dans les ruines, à apprendre à vivre sans jalouser, désirer ou garder, mais à aider son prochain à aller vers la lumière et travailler ensemble dans le même espoir. Je ne légitimerai mes paroles par aucune vision, aucun prophète, même si j'en deviendrai sûrement un si le projet aboutit. Seuls ceux qui ont l'espoir resteront et le reste mourra, mais ils sont déjà morts de toute façon, ils s'apparentent à tes collègues...
Lucy, quant à elle, est déjà bien cachée, et elle t'attend au pays de la seule foi dont les responsables n'ont pas encore été contaminé par le désir, le pays où la sagesse faisait encore loi il y a cent ans. Tu la trouveras à Lhassa, au Tibet, mais il te faudra la chercher, autour de toi, mais aussi en toi."

Siegfried, n'ayant toujours pas posé ses lèvres sur le verre, choqué, révolté par le criminel qui se trouvait en face de lui, mais tellement dégoûté par ce que le monde avait toujours fait que cette nouvelle horreur ne le blessait que peu. Complètement dépassé par le discours du vieux professeur assassin, il se risqua à une seule question :

"Mais pourquoi irais-je au Tibet retrouver cette femme ? Que puis-je changer au sombre destin de notre planète, que vous avez si cruellement scellé ?

- Mais tout Siegfried, tu peux tout changer. J'ai peut-être scellé l'avenir du monde, mais il n'aura que deux issues, soit sa fin, soit la reconstruction d'une société idéale, humaniste, sur les valeurs chères à mon coeur et au tien.

- Comment osez-vous prétendre que nous partageons les mêmes valeurs, vous qui pourriez être le bâtard d'Hitler et de Staline ?

- Tout simplement parce que quand j'ai étudié les gènes de ton père et ses idées, je me suis efforcé de prendre ce qu'il y avait de bon en lui pour te le transmettre. Il ne manquait que la détermination et la patience, et tu l'as reçu aussi, mais de moi. Tu iras au Tibet, j'en suis sûr, d'une part parce que tu as toujours voulu un tel bouleversement mais que tu ne l'as jamais amorcé, d'autre part car j'ai longtemps cherché un être qui sera assez fort pour aller au bout de ce projet, et qui se remettra assez en question pour ne pas m'obéir aveuglément. Je sais que tu risques d'y renoncer par peur de l'inconnu, par peur du changement, mais cela aussi sera une force, puisque tu n'y seras pas forcé, et que je ne t'offre pas une mission mais ma confiance, et tu le feras dès lors en plein accord avec ton libre arbitre, avec tes convictions. Oui, j'en suis convaincu, tu le feras malgré les paradoxes qui font ce que tu es.

- Mais quoi ? Faire quoi, monsieur Acorte ?

- Mais Siegfried, repeupler le monde, voyons."

Sunday, July 23, 2006

Assis à son bureau il saisit machinalement les factures adressées à la Gamète. Sans plus de surprise la fatigue accumulée et l'étau qui lui enserre la tête ne l'empêchent pas d'effectuer sa tâche avec rapidité et précision. Il est forcé de reconnaître que toutes ses volontés de révoltent s'évaporent lorsqu'il retrouve la satisfaction monotone, le morne confort du connu, du machinal.
Comme nombre de ces congénères Siegfried en appelait sans cesse aux grands idéaux mais était complètement terrorisé par la liberté, l'infinie des possibles qui s'ouvraient à chaque seconde de vie humaine.
Un auteur du siècle précédent qu'il affectionnait particulièrement avait dit "on est ce que l'on veut", les dieux ayant chu l'homme se définirait par ses actes. Il est Libre mais il n'a pas la force de choisir. Il préfère s'aveugler de confort, le confort n'est pas propice à la révolution…du pain et des jeux…On avait pas avancé d'un iota.
L'homme est un menteur magnifique, tellement doué dans l'art de l'affabulation qu'il parvient à se persuader lui même. L'hallali a été sonné, le monde court à sa perte et il parvient néanmoins à s'aveugler par l'artificielle routine d'avant les évènements.

Thursday, July 06, 2006

C’est sur ce constat cinglant qu’il arrivait sur son lieu de travail, la Gamete. Il était le docile employé de la plus grande société qui fut… et qui sera vu la situation délicate dans laquelle est l’espèce humaine. Les membres du directoire de cette société internationale n’étaient qu’autres que les présidents des états de l’APEH comprenez l’Alliance pour la Pérennité de l’Espece Humaine.

Ses vêtements défraîchis par cette nuit d’errance, son haleine épaisse et ses cheveux poisseux ne lui valurent même pas de regards désapprobateurs, les regards glissent et ne s’arrêtent pas. La vie n’est décidément plus la même depuis les « Evènements » ont eu lieu. Les « Evenements », quelle expression, quel doux euphémisme.

C’était il y aura bientôt sept ans, en 2015, Siegfried venait d’atteindre la majorité. La grande pantalonnade des accords de désarmements allait bon train sur la scène de la diplomatie internationale, les états signaient d’innombrables traités qui les engageaient à ne pas utiliser d’armes nucléaires ou bactériologiques, vulgaire feuillets ne servant qu’à distraire les masses. Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que la puissance de mort d’un pays lui donnait un droit de cité aux tables sur lesquelles on jouait le destin du monde, les puissances militaires disposaient d’arguments particulièrement efficaces dans les négociations multilatérales. C’est pourquoi tous les états menaient à leur échelle des recherches pour développer l’arme ou le système de défense qui rendrait leurs propositions irrefusables.

Les recherches étaient évidemment menées par de très petites équipes de scientifique et dans le plus grand secret. Ces quelques élus bénéficiaient de budget phénoménaux pour que des soucis bassement matériels ne viennent pas entraver leur progression. Les connaissances dont disposaient ces scientifiques les rendaient extrêmement puissant, il eut été extrêmement préjudiciable que ces savants livrent leur secret à d’autres nations évidemment avides d’informations. Il était cependant impossible de leur clouer le bec comme on le faisait habituellement…Le suicide assisté, l’accident fâcheux permettait certes d’empêcher un homme de divulguer des secrets mais il avait l’énorme inconvénient de faire disparaître par la même occasion les secrets que les scientifiques gardaient précieusement, qu’ils protégeaient comme leur vie… et pour cause.

Le Dr Acorte était un membre de cette aristocratie scientifique, comme ces confrères il était connu pour conserver jalousement les secrets qui le rendaient irremplaçable. Il travaillait en France sur le ciblage génétique. Il s’évertuait à créer des maladies mortelles capables d’occire uniquement les personnes ayant un génome particulier. Les perspectives étaient gigantesques on pourrait tuer un homme à grande distance grâce à un peigne qu’il aurait utilisé, une pomme dans laquelle il aurait croqué…C’est selon ce programme de recherche que l’on créa le virus ironiquement basé « End’s Eve ». Il s’agissait de la souche de la peste bubonique modifiée pour ne toucher que les femmes. Ce choix n’était pas du tout dicté par une forme de misogynie portée à son paroxysme mais par la facilité avec lequel on pouvait isoler le gène qui déterminait le sexe féminin. On inocula « End’s Eve » sur un couple de singe pour confirmer l’efficacité du virus.

La base dans laquelle avait lieu l’expérience était évidemment parfaitement gardée, les lapins des environs avaient déjà tous été décimés par les mitraillettes à visée automatique, les systèmes de défense du no man’s land environnant semblaient même avoir fait disparaître la flore et les insecte…et pourtant, malgré toutes les sécurité qui avaient été prises, les singes disparurent, littéralement volatilisés en une nuit. La cage était intact, aucune trace d’effraction. Les nombreuses vidéos de sécurité laissaient les observateurs perplexes, aucune présence ne pouvait être décelée, les deux primates disparaissaient juste soudainement.

Malgré l’aspect surnaturel de la disparition on lança des recherches dans toutes les environs, on préféra ne pas faire plus de vague et taire l’affaire. « End’s Eve » pouvait dans le pire des cas faire disparaître la race des singe. On allait quand même pas perdre la face sur la scène internationale pour quelques macaques

Le Dr Acorte fut retrouvé mort le lendemain matin, il s’était tiré une balle dans la tête alors qu’il consultait les informations internationales sur l’hypernet. Les dépêches du monde entier signalait la mort massive de femme par ce qui ressemblait étrangement à une peste bubonique, mais une peste bubonique foudroyante qui tuait ses victimes en quelques heures d’une agonie effroyable… New Dehli, Rio, New York, Sidney, Paris aucune ville, aucun pays n’était épargné…

On tenta rapidement d’isoler les femmes atteintes mais il était déjà trop tard. Les hommes, les mâles de l’espèces humaines étaient fou de douleurs les suicides se multipliaient, les scènes de désespoir et de souffrance, les charniers constitué des mortes que l’on ne pouvait plus enterrer transformait donnait un avant goût d’enfer aux survivants. La fin paraissaient imminente. C’est alors qu’un flash d’information apporta de la flamme vacillante d’une chandelle au milieu de cette nuit d’un noir sans précédent. On avait trouvé en Afrique une femme qui avait survécu. On l’appela Lucy en hommage à l’australopithèque afarensis.

Les états occidentaux la réquisitionnèrent rapidement et après s’être convenablement déchirés pour « acquérir » cette ressource inestimable. L’instinct de survie de l’espèce leur permis néanmoins de trouver un accord qui allait au-delà de leur volonté de suprématie. Ils créèrent l’APEH et y investirent tous leurs efforts de recherche. C’est ainsi que la Gamète fut engendrée. Siegfried faisait parti des quelques uns qui connaissaient cette histoire mais il ne savait pas ce qu’il advenait de Lucy, on informait le peuple que les progrès allaient bon train et que l’on serait bientôt prêt à générer une cohorte de femme avec un génome résistant à « End’s Eve »…

Tuesday, July 04, 2006

Après quelques minutes de réflexion, il décida qu’il ne pourrait plus s’infiltrer d’avantage dans le système. Continuer sa route dans la clandestinité allait l’obliger à se faire petit-à-petit à sa situation, à se faire à cette vie qu’on lui avait choisi, à perdre toute motivation et toute hargne. Désormais il fallait agir.

Pouvait-il mettre ses meilleurs amis au parfum ? Il avait bien conscience qu’une révolution n’est jamais l’œuvre d’un seul homme. Mais non. Il fallait qu’il pose d’abord les bases de son action, sans quoi il se condamnait à ne pas être pris au sérieux.

Tous ces aveugles qui l’entouraient au travail, il allait leur montrer. Il allait démissionner avec fracas. Il allait hurler à la face de ses collègues ses raisons d’arrêter ce manège. Il fallait qu’ils comprennent, qu’ils voient. S’il ouvrait les yeux ne serait-ce qu’à un d’entre eux, ce serait une victoire.

Il allait être celui par qui tout arrive. La fin de chaque période est toujours marquée par un visionnaire, un révolutionnaire. Il allait mettre fin à cette sombre époque déshumanisante. Cette époque stupide, basé sur des valeurs superficielles. Cette époque où ceux qui s’écrasent face à leurs supérieurs et démolissent leurs collègues réussissent. Cette époque où les seules valeurs valables sont celles qui rapportent du profit à l’entreprise et au pays.

Mais où était l’Homme là dedans ? Comment personne ne pouvait voir par ailleurs qu’à force de courir, le système allait à sa perte ?

La pollution, les canicules, le réchauffement global, les problèmes sociaux. Quel intérêt de faire tous ces profits, si personne n’en bénéficierait jamais. Les dirigeants avaient mal interprété les signes, ou peut-être étaient-ils trop occuper à profiter de leur misérable existence matérialiste, désintéressés par la destruction progressive des générations futures. Bien sûr l’âge d’or de l’Industrie avait été merveilleusement bénéfique. Mais il n’était qu’une étape et pas une fin. Tout le monde aurait dû le voir. Seulement quand l’argent coule à flot, ceux qui le récoltent sont peu regardants sur l’avenir. L’Industrie avait permis à l’Homme de remonter la pente après les périodes difficiles, mais cet arrogant d’Homme s’en était servi à seule fin de profit, en oubliant tout le reste …

L’Humanité s’était déconnectée des vraies valeurs de la vie, créant une société superficielle. Il allait remettre de l’ordre et remettre le destin des Hommes sur les rails.

Cette dernière pensée l’amusait. La formuler la faisait paraître incroyablement pompeuse et grotesque. Qu’importe. Si tout le monde pensait ainsi, la vie sur terre était vouée à disparaître.
Siegfried, comme tout homme banal qui occupe un emploi inintéressant qui ne le valorise pas s’était attelé à exécuter son travail de la meilleure manière qui soit. Un perfectionniste. Comme tout homme résigné, convaincu par le diktat d’une société qui brise les hommes, il s’était plié aux règles et était devenu le meilleur des esclaves. Vassal d’un supérieur hiérarchique tout aussi banal que lui mais jouissant d’une position plus élevée dans l’organigramme de la société donc meilleur. Un complexe d’Œdipe de type nouveau, fruit d’un monde qui se résume en un agglomérat de nomenclatures matérialisées par des hiérarchies à perte de vue. Car c’était bien ça la vie de Siegfried et de ses contemporains: une population libérée, sans Dieu ni maître et qui, dès lors, ne pouvait marcher que si la machine était bien huilée: un temps pour tout, un espace pour chaque activité. La libération de l’homme passe par l’annihilation des déviances et des pulsions. Le bonheur par un totalitarisme qui contente chacun.
Dans l’entreprise, si Siegfried était en dessous de ces hommes c’est qu’il était nécessairement inférieur et devait donc obéir comme un chien à son responsable : un homme libéré dans une société libre, tolérante et épanouie. Avec comme enfant monstrueux : le concept de subordination vitale. Ceci lui avait donc appris la méthode. Il était devenu tatillon et en tant que tel ses plans machiavéliques seraient donc léchés.

Tout d’abord le principe d’action: comment agir ? En sous-main ou attaquer de front ?

Il avait toujours gardé en mémoire un récit parmi d’innombrables autres biographies d’illustres romains la vie d’un certain Brutus; considéré comme retardé par sa famille son père aimant ne l’avait pour autant pas laissé à l’écart et lui avait fait donner toute l’éducation que son rang exigeait. Ce dernier s’affaiblit avec l’âge et Brutus vécut dès lors avec sa sœur mariée depuis. Le mari, un homme violent, inique et sadique était devenu à force de manœuvres, le chef de famille. Bafouant l’autorité patriarcale, il entrepris un soir de supprimer ce beau-père gênant, Brutus se révéla alors. Il assassina son beau-frère après avoir mis à jour les plans malintentionnés de ce dernier. Il n’était pas du tout retardé et avait au contraire très bien intégré la finesse de ses maîtres, la psychologie de sa mère et excellait dans l’art de la guerre.
Cette histoire l’inspirait beaucoup, lui qui avait toujours eu une passion pour le mythe de l’eau qui dort. Infiltrer un milieu pour mieux le détruire.
Mais ce raisonnement avait ses limites. Comment être certain de garder la ligne de conduite que l’on s’est fixée originellement ? Pour quoi réussirait-on là où les autres ont échoué ? Le système n’a t-il pas des mesures appropriées pour les amères, ceux qui se rebellent, ceux souffrant d’un trop plein, une valve de sécurité ? Peut-on objectivement penser que le pouvoir laisserait n’importe qui utiliser ses codes, ses méthodes et ses lois pour se faire déposer ? Si le système donnait l’opportunité à ceux qui se sentent capables de grandes choses et ceux qui en ont le pouvoir de changements profonds, ceux-ci auraient déjà aboutis depuis un moment. Des hordes entières de personnes ont déjà maintes fois pensé pouvoir faire des exploits, ce sont à présent les cadavres désabusés de jeunes gens idéalistes, parfaitement intégrés. Siegfried se trouvait donc face à un dilemme. Attaquer de front –très risqué- ou agir clandestinement –avec le risque de ne finalement que se faire répéter l’histoire en inventant un nouveau moyen d’intégrer ses frustrations et son désespoir pour changer un monde qui les a engendrés.

Thursday, June 29, 2006

Il était las de se laisser ballotter par la vie. Las de toujours tout accepter sans jamais avoir voix au chapitre de sa propre existence. Il était las aussi de culpabiliser de sa lâcheté. Las de supporter bon nombre de ses relations sociales simplement car il n’avait pas la force de s’affirmer, ou qu’il se mentait en disant qu’elles lui serviraient peut-être un jour. Il se sentait bien supérieur aux autres, et ce depuis toujours. Mais il était trop dégonflé pour l’assumer voilà tout. Il savait bien que tous ces gens qui l’entouraient n’avaient aucun destin, alors que lui avait toutes les clés de la réussite dans sa poche. Tout ce temps, il avait été trop absorbé à se faire passer pour quelqu’un de commun et de fort ennuyeux. Alors qu’il aurait pu profiter de tout ce temps perdu pour mettre sa vie sur les rails.

Il se maudissait d’avoir laissé sa destinée à la dérive, de peur de s’y frotter vraiment, de peur de se planter.

Il commençait déjà à se demander si ce n’était pas l’alcool qui parlait, et si ces belles résolutions ne s’évaporeraient pas en même temps que son taux d’alcoolémie. Il espérait que çà ne soit pas le cas.

Il fallait qu’il profite de sa motivation présente, qui risquait fort de ne point durer, pour mettre en place un plan et une attitude qui lui offriraient la possibilité de corriger son cap. Il repensait sans cesse à ce projet fou qu’il avait en tête, mais passer de sa situation présente à sa réalisation paraissait incommensurablement compliqué. Il allait devoir préparer des étapes. Dès demain, il serait en marche, et rien ne l’arrêtait.

Alors qu’il se perdait dans ses pensées machiavéliques, le soleil commençait déjà à se lever. Voilà qui réglait le problème du lit pour cette nuit.