Thursday, August 17, 2006

"Qui...qui êtes-vous ?"

Le professeur se mit à accentuer progressivement le tremblement qui agitait sa main droite et le contenu de son verre tandis que l'homme sortit de l'ombre du coin du salon. Il n'avait rien senti, aucune présence, aucune odeur, et cet homme qui s'était infiltré chez lui comme un spectre venait d'entendre une preuve accablante de sa culpabilité. Il devait l'éliminer. Tout de suite.
Il continua à jouer l'homme surpris, piégé et coupable, tout en cherchant de sa main gauche le petit revolver à deux cartouches qu'il dissimulait dans sa manche.

"Je suis celui qui est venu vous prêter main forte, monsieur Acorte, dit l'homme.

"Acorte ? Vous devez faire erreur mon ami, on me nomme Adam Rosinski. Peut-être cherchez-vous un autre locataire de l'immeuble ?"

- Non, je ne pense pas me tromper monsieur, et ce que je viens d'entendre me conforte dans ma certitude. Vous êtes bien l'homme que je cherche, quel que soit votre nouveau caprice patronymique.

- Ce que vous venez d'entendre...? Allons, cher ami, ne voyez-vous point que je suis ivre ? C'est le sixième brandy que je bois et dans cet état je prends un malin plaisir à pousser des rires diaboliques dignes des crapules de James Bond...ne chantez-vous jamais devant votre miroir ?

- Cela peut m'arriver en effet, mais sachez que j'aurais peut-être eu moins de mal à déceler votre tentative d'attraper votre revolver si vous étiez vraiment ivre. Prenez le nom qu'il vous siéra mais laisser moi vous parler avant de m'éliminer. Je sais que la justice a peu de temps pour juger des meurtriers par les temps qui courent, mais ce serait tout de même dommage de refaire une quatrième copie du professeur Acorte car Adam Rosinski est en prison, vous ne trouvez pas ?

- De quoi parlez-vous ?

- Assez joué professeur. Je vais vous dire franchement ce que je veux. Vous êtes riche. Plus riche que la plupart des grandes fortunes de la planète. Je n'ai que faire des femmes, mon coeur est de pierre et mon passé m'a condamné à rester insensible à la chaleur humaine. J'aime l'argent. Le profit. J'aime voir des chiffres, des sommes, des bouts de papier et des zéros qui n'appartiennent qu'à moi.

- Et en quoi puis-je vous aider monsieur ? Moi qui ne suis qu'un vieux peintre alcoolique, j'ai des dettes de jeu et de comptoir partout où il est possible d'en avoir. Sortez de chez moi je vous prie, et puissiez-vous trouver votre ami avant que d'autres innocents aient à subir vos menaces. Au revoir monsieur.

- Votre voix n'a pas changé vous savez. Vous n'avez pas pris toutes les précautions lors de votre petit ravalement de facade. Je vais vous dire pourquoi je suis là, outre mes motivations financières. J'ai trois choses à vous montrer. La première chose est cette estimation du salaire que vous allez bientôt me verser. Je pense que ce ne sera pas un problème pour vous.

- Mais vous vous entêtez de plus belle ? Fichez le camp d'ici espèce de...

- De quoi ? De salaud ? De meurtrier ? Allons, "Adam", il y a belle lurette que ces substantifs ne vous effraient plus. La deuxième chose que je souhaiterais vous montrer est une chose que vous venez de voir."
L'homme s'empara de la télécommande posé sur la table basse, et recala l'enregistrement automatique des informations télévisées qui venaient de passer. Il accéléra la diffusion jusqu'à ce qu'on voie le routier en gros plan, puis avanca image par image pour caler l'arrêt sur un bras se dressant au dessus de la foule, et une main qui serrait une grosse pierre entre ses quatre doigts.
Acorte se sentait de plus en plus mal à l'aise, et de plus en plus curieux malgré tout. Il se retourna vers l'homme, qui le regardait intensément, très calmement. Celui-ci lui serra la main chaleureusement, et lui dit encore une fois : "Je viens vous prêter main forte, professeur. Enfin, quand je dis main forte..., ricana-t-il en levant sa main droite, amputée, comme celle qui serrait la pierre, des deux phalanges du majeur.
Acorte était bouche bée.
" Mais comment pouvez-vous être chez moi alors que vous étiez dans la rue en même temps, comme ces images le prouvent ?

- Et vous professeur, comment? le taquina l'homme.

- Pourquoi tenez-vous tant à travailler pour moi ?

- Je vous l'ai dit. Pour l'argent. Uniquement pour l'argent. Et aussi parce que j'ai une troisième chose à vous montrer. Sachez que je ne l'ai pas sur moi, mais je possède un enregistrement des caméras de surveillance de la Gamète. Oh, pas toute une journée ou une nuit, non, mais juste les quelques secondes où Lucy passe le sas de sécurité avec une carte au nom de Monsieur Mork. Ce nom vous dit quelque chose, peut-être."

Acorte devint blême.

"Effectivement. Ce nom m'a beaucoup accompagné dans le passé."

Il déglutit, se resservit un verre, puis en remplit un autre pour son hôte, qui, sans attendre une quelconque invitation, se vautra en soupirant d'aise dans le fauteuil opposé, certain que ces informations avaient suffi à mettre le professeur en confiance.

"Alors dites-moi, "Adam", voulez-vous bien me dire si vous avez une quelconque idée sur la destination de cette précieuse denrée qu'est Lucy ?

- Pourquoi vous intéressez-vous tant à elle si seul l'appât du gain vous motive ?

- Mais parce que je travaille pour vous, voyons. Et que vous vous posez la même question que moi. C'est pour ça que vous avez envoyé le jeune Mund la chercher, non ? Pour la trouver sans effort, en envoyant une personne en qui elle pourrait avoir confiance...Ma mission, si vous voulez bien me confirmer mon salaire, sera de le suivre à la trace jusqu'à ce qu'il nous mène à Lucy. Je suppose que Lhassa était une destination que Mork avait choisi, et que votre connaissance quasi-totale du coeur de cet homme vous a naturellement invité à guider vos recherches vers le Tibet. En revanche, je ne comprends toujours pas pourquoi vous l'avez éliminé.

Acorte regardait à présent son interlocuteur avec admiration. Comment savait-il tout ça, comment l'avait-t-il reconnu ? Et comment savait-il déjà qu'il avait parlé à Siegfried la veille ?
Il opta finalement pour faire confiance à cet homme, il serait toujours temps de l'éliminer si ses secrets commençaient à se diffuser.

- Parce que Mork était devenu un frein à notre projet après sa rencontre avec cette femme, cette femme merveilleuse dont la finesse d'esprit semblait en perpétuelle compétition avec la beauté physique, cette salope qui a tout fait foirer, cette garce qui a ôté toute envie à Mork de songer à exterminer les femmes de la planète. Voilà pourquoi je l'ai tué. Et voilà aussi pourquoi j'ai tué sa compagne, mademoiselle Mund, après qu'elle lui ai donné un fils. Mais ceci est secondaire puisqu'il est sous mon contrôle, et bientôt sous le vôtre aussi.

- N'était-ce pas de la jalousie pure et simple ? Ne vouliez-vous pas cette femme ?

- Cher ami, j'ai des projets bien plus ambitieux que de lire le journal en entendant brailler des gamins, dit le professeur d'un trait, en regardant sombrement l'homme.

- Mais tout de même, je connais les gens comme vous, nous sommes fait de la même matière immuable et stérile, mais cette matière nous l'avons créé pour durcir un coeur qui a souffert, n'était-ce pas simplement un crime commis à cause...

- Taisez-vous, le coupa froidement Acorte, vous ne savez pas de quoi vous parlez. C'était nécessaire au projet, rien de plus. Ce sujet est clos. Je vous verserai chaque mois la somme que vous venez de me demander, et je vous demanderai la plus grande discrétion au sujet de nos discussions, concrètes ou tacites. Je vous prierai aussi de bien vouloir trouver comment Lucy a pu rentrer en possession de la carte de Mork, et de me tenir informé de la moindre information que vous pourrez découvrir.

Acorte resservit un verre de liqueur à son nouvel employé, et, avec un regard lourd de sens, lui déclara très calmement : "Vous n'êtes pas mon seul mercenaire, et je n'hésiterais pas à vous faire abattre, j'espère que vous saurez vous en rappeler."

L'homme se contenta d'un sourire entendu.

"En tout cas je suis heureux que nous soyions parvenu à un terrain d'entente, et je vous garantis que je retrouverai ce merdeux et notre proie, "Adam".

Le professeur lui serra la main et le fixa d'un air complice.

"Allons, appelez-moi Acorte à présent. Monsieur...?

- Stephen. Appelez-moi Stephen."

3 Comments:

Blogger Jeanfou said...

Ouhou! Grandiose! Bon je vais me remettre au clavier mais il faut que j'imprime tout et relise tout calmement!
Bon juste pour faire le chieur tu dis "se resservit", je pense que "se ressert' conviendrait mieux.
Super bien écrit en tout cas! Chapeau bas.

1:40 PM  
Blogger TheAbyss said...

ah ben comme quoi ya quand meme des gens qui laissent des commentaires encourageants :-D

merci sarahlangley59061166, je tacherai de prendre en compte tes doléances littéraires.

5:42 AM  
Blogger laurentgo said...

Bravo, c'est très bien écrit, beaucoup de plaisirs à te lire, à bientôt !

laurent

http://blog.laurent.eu.org

10:19 AM  

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