Sunday, July 23, 2006

Assis à son bureau il saisit machinalement les factures adressées à la Gamète. Sans plus de surprise la fatigue accumulée et l'étau qui lui enserre la tête ne l'empêchent pas d'effectuer sa tâche avec rapidité et précision. Il est forcé de reconnaître que toutes ses volontés de révoltent s'évaporent lorsqu'il retrouve la satisfaction monotone, le morne confort du connu, du machinal.
Comme nombre de ces congénères Siegfried en appelait sans cesse aux grands idéaux mais était complètement terrorisé par la liberté, l'infinie des possibles qui s'ouvraient à chaque seconde de vie humaine.
Un auteur du siècle précédent qu'il affectionnait particulièrement avait dit "on est ce que l'on veut", les dieux ayant chu l'homme se définirait par ses actes. Il est Libre mais il n'a pas la force de choisir. Il préfère s'aveugler de confort, le confort n'est pas propice à la révolution…du pain et des jeux…On avait pas avancé d'un iota.
L'homme est un menteur magnifique, tellement doué dans l'art de l'affabulation qu'il parvient à se persuader lui même. L'hallali a été sonné, le monde court à sa perte et il parvient néanmoins à s'aveugler par l'artificielle routine d'avant les évènements.

Thursday, July 06, 2006

C’est sur ce constat cinglant qu’il arrivait sur son lieu de travail, la Gamete. Il était le docile employé de la plus grande société qui fut… et qui sera vu la situation délicate dans laquelle est l’espèce humaine. Les membres du directoire de cette société internationale n’étaient qu’autres que les présidents des états de l’APEH comprenez l’Alliance pour la Pérennité de l’Espece Humaine.

Ses vêtements défraîchis par cette nuit d’errance, son haleine épaisse et ses cheveux poisseux ne lui valurent même pas de regards désapprobateurs, les regards glissent et ne s’arrêtent pas. La vie n’est décidément plus la même depuis les « Evènements » ont eu lieu. Les « Evenements », quelle expression, quel doux euphémisme.

C’était il y aura bientôt sept ans, en 2015, Siegfried venait d’atteindre la majorité. La grande pantalonnade des accords de désarmements allait bon train sur la scène de la diplomatie internationale, les états signaient d’innombrables traités qui les engageaient à ne pas utiliser d’armes nucléaires ou bactériologiques, vulgaire feuillets ne servant qu’à distraire les masses. Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que la puissance de mort d’un pays lui donnait un droit de cité aux tables sur lesquelles on jouait le destin du monde, les puissances militaires disposaient d’arguments particulièrement efficaces dans les négociations multilatérales. C’est pourquoi tous les états menaient à leur échelle des recherches pour développer l’arme ou le système de défense qui rendrait leurs propositions irrefusables.

Les recherches étaient évidemment menées par de très petites équipes de scientifique et dans le plus grand secret. Ces quelques élus bénéficiaient de budget phénoménaux pour que des soucis bassement matériels ne viennent pas entraver leur progression. Les connaissances dont disposaient ces scientifiques les rendaient extrêmement puissant, il eut été extrêmement préjudiciable que ces savants livrent leur secret à d’autres nations évidemment avides d’informations. Il était cependant impossible de leur clouer le bec comme on le faisait habituellement…Le suicide assisté, l’accident fâcheux permettait certes d’empêcher un homme de divulguer des secrets mais il avait l’énorme inconvénient de faire disparaître par la même occasion les secrets que les scientifiques gardaient précieusement, qu’ils protégeaient comme leur vie… et pour cause.

Le Dr Acorte était un membre de cette aristocratie scientifique, comme ces confrères il était connu pour conserver jalousement les secrets qui le rendaient irremplaçable. Il travaillait en France sur le ciblage génétique. Il s’évertuait à créer des maladies mortelles capables d’occire uniquement les personnes ayant un génome particulier. Les perspectives étaient gigantesques on pourrait tuer un homme à grande distance grâce à un peigne qu’il aurait utilisé, une pomme dans laquelle il aurait croqué…C’est selon ce programme de recherche que l’on créa le virus ironiquement basé « End’s Eve ». Il s’agissait de la souche de la peste bubonique modifiée pour ne toucher que les femmes. Ce choix n’était pas du tout dicté par une forme de misogynie portée à son paroxysme mais par la facilité avec lequel on pouvait isoler le gène qui déterminait le sexe féminin. On inocula « End’s Eve » sur un couple de singe pour confirmer l’efficacité du virus.

La base dans laquelle avait lieu l’expérience était évidemment parfaitement gardée, les lapins des environs avaient déjà tous été décimés par les mitraillettes à visée automatique, les systèmes de défense du no man’s land environnant semblaient même avoir fait disparaître la flore et les insecte…et pourtant, malgré toutes les sécurité qui avaient été prises, les singes disparurent, littéralement volatilisés en une nuit. La cage était intact, aucune trace d’effraction. Les nombreuses vidéos de sécurité laissaient les observateurs perplexes, aucune présence ne pouvait être décelée, les deux primates disparaissaient juste soudainement.

Malgré l’aspect surnaturel de la disparition on lança des recherches dans toutes les environs, on préféra ne pas faire plus de vague et taire l’affaire. « End’s Eve » pouvait dans le pire des cas faire disparaître la race des singe. On allait quand même pas perdre la face sur la scène internationale pour quelques macaques

Le Dr Acorte fut retrouvé mort le lendemain matin, il s’était tiré une balle dans la tête alors qu’il consultait les informations internationales sur l’hypernet. Les dépêches du monde entier signalait la mort massive de femme par ce qui ressemblait étrangement à une peste bubonique, mais une peste bubonique foudroyante qui tuait ses victimes en quelques heures d’une agonie effroyable… New Dehli, Rio, New York, Sidney, Paris aucune ville, aucun pays n’était épargné…

On tenta rapidement d’isoler les femmes atteintes mais il était déjà trop tard. Les hommes, les mâles de l’espèces humaines étaient fou de douleurs les suicides se multipliaient, les scènes de désespoir et de souffrance, les charniers constitué des mortes que l’on ne pouvait plus enterrer transformait donnait un avant goût d’enfer aux survivants. La fin paraissaient imminente. C’est alors qu’un flash d’information apporta de la flamme vacillante d’une chandelle au milieu de cette nuit d’un noir sans précédent. On avait trouvé en Afrique une femme qui avait survécu. On l’appela Lucy en hommage à l’australopithèque afarensis.

Les états occidentaux la réquisitionnèrent rapidement et après s’être convenablement déchirés pour « acquérir » cette ressource inestimable. L’instinct de survie de l’espèce leur permis néanmoins de trouver un accord qui allait au-delà de leur volonté de suprématie. Ils créèrent l’APEH et y investirent tous leurs efforts de recherche. C’est ainsi que la Gamète fut engendrée. Siegfried faisait parti des quelques uns qui connaissaient cette histoire mais il ne savait pas ce qu’il advenait de Lucy, on informait le peuple que les progrès allaient bon train et que l’on serait bientôt prêt à générer une cohorte de femme avec un génome résistant à « End’s Eve »…

Tuesday, July 04, 2006

Après quelques minutes de réflexion, il décida qu’il ne pourrait plus s’infiltrer d’avantage dans le système. Continuer sa route dans la clandestinité allait l’obliger à se faire petit-à-petit à sa situation, à se faire à cette vie qu’on lui avait choisi, à perdre toute motivation et toute hargne. Désormais il fallait agir.

Pouvait-il mettre ses meilleurs amis au parfum ? Il avait bien conscience qu’une révolution n’est jamais l’œuvre d’un seul homme. Mais non. Il fallait qu’il pose d’abord les bases de son action, sans quoi il se condamnait à ne pas être pris au sérieux.

Tous ces aveugles qui l’entouraient au travail, il allait leur montrer. Il allait démissionner avec fracas. Il allait hurler à la face de ses collègues ses raisons d’arrêter ce manège. Il fallait qu’ils comprennent, qu’ils voient. S’il ouvrait les yeux ne serait-ce qu’à un d’entre eux, ce serait une victoire.

Il allait être celui par qui tout arrive. La fin de chaque période est toujours marquée par un visionnaire, un révolutionnaire. Il allait mettre fin à cette sombre époque déshumanisante. Cette époque stupide, basé sur des valeurs superficielles. Cette époque où ceux qui s’écrasent face à leurs supérieurs et démolissent leurs collègues réussissent. Cette époque où les seules valeurs valables sont celles qui rapportent du profit à l’entreprise et au pays.

Mais où était l’Homme là dedans ? Comment personne ne pouvait voir par ailleurs qu’à force de courir, le système allait à sa perte ?

La pollution, les canicules, le réchauffement global, les problèmes sociaux. Quel intérêt de faire tous ces profits, si personne n’en bénéficierait jamais. Les dirigeants avaient mal interprété les signes, ou peut-être étaient-ils trop occuper à profiter de leur misérable existence matérialiste, désintéressés par la destruction progressive des générations futures. Bien sûr l’âge d’or de l’Industrie avait été merveilleusement bénéfique. Mais il n’était qu’une étape et pas une fin. Tout le monde aurait dû le voir. Seulement quand l’argent coule à flot, ceux qui le récoltent sont peu regardants sur l’avenir. L’Industrie avait permis à l’Homme de remonter la pente après les périodes difficiles, mais cet arrogant d’Homme s’en était servi à seule fin de profit, en oubliant tout le reste …

L’Humanité s’était déconnectée des vraies valeurs de la vie, créant une société superficielle. Il allait remettre de l’ordre et remettre le destin des Hommes sur les rails.

Cette dernière pensée l’amusait. La formuler la faisait paraître incroyablement pompeuse et grotesque. Qu’importe. Si tout le monde pensait ainsi, la vie sur terre était vouée à disparaître.
Siegfried, comme tout homme banal qui occupe un emploi inintéressant qui ne le valorise pas s’était attelé à exécuter son travail de la meilleure manière qui soit. Un perfectionniste. Comme tout homme résigné, convaincu par le diktat d’une société qui brise les hommes, il s’était plié aux règles et était devenu le meilleur des esclaves. Vassal d’un supérieur hiérarchique tout aussi banal que lui mais jouissant d’une position plus élevée dans l’organigramme de la société donc meilleur. Un complexe d’Œdipe de type nouveau, fruit d’un monde qui se résume en un agglomérat de nomenclatures matérialisées par des hiérarchies à perte de vue. Car c’était bien ça la vie de Siegfried et de ses contemporains: une population libérée, sans Dieu ni maître et qui, dès lors, ne pouvait marcher que si la machine était bien huilée: un temps pour tout, un espace pour chaque activité. La libération de l’homme passe par l’annihilation des déviances et des pulsions. Le bonheur par un totalitarisme qui contente chacun.
Dans l’entreprise, si Siegfried était en dessous de ces hommes c’est qu’il était nécessairement inférieur et devait donc obéir comme un chien à son responsable : un homme libéré dans une société libre, tolérante et épanouie. Avec comme enfant monstrueux : le concept de subordination vitale. Ceci lui avait donc appris la méthode. Il était devenu tatillon et en tant que tel ses plans machiavéliques seraient donc léchés.

Tout d’abord le principe d’action: comment agir ? En sous-main ou attaquer de front ?

Il avait toujours gardé en mémoire un récit parmi d’innombrables autres biographies d’illustres romains la vie d’un certain Brutus; considéré comme retardé par sa famille son père aimant ne l’avait pour autant pas laissé à l’écart et lui avait fait donner toute l’éducation que son rang exigeait. Ce dernier s’affaiblit avec l’âge et Brutus vécut dès lors avec sa sœur mariée depuis. Le mari, un homme violent, inique et sadique était devenu à force de manœuvres, le chef de famille. Bafouant l’autorité patriarcale, il entrepris un soir de supprimer ce beau-père gênant, Brutus se révéla alors. Il assassina son beau-frère après avoir mis à jour les plans malintentionnés de ce dernier. Il n’était pas du tout retardé et avait au contraire très bien intégré la finesse de ses maîtres, la psychologie de sa mère et excellait dans l’art de la guerre.
Cette histoire l’inspirait beaucoup, lui qui avait toujours eu une passion pour le mythe de l’eau qui dort. Infiltrer un milieu pour mieux le détruire.
Mais ce raisonnement avait ses limites. Comment être certain de garder la ligne de conduite que l’on s’est fixée originellement ? Pour quoi réussirait-on là où les autres ont échoué ? Le système n’a t-il pas des mesures appropriées pour les amères, ceux qui se rebellent, ceux souffrant d’un trop plein, une valve de sécurité ? Peut-on objectivement penser que le pouvoir laisserait n’importe qui utiliser ses codes, ses méthodes et ses lois pour se faire déposer ? Si le système donnait l’opportunité à ceux qui se sentent capables de grandes choses et ceux qui en ont le pouvoir de changements profonds, ceux-ci auraient déjà aboutis depuis un moment. Des hordes entières de personnes ont déjà maintes fois pensé pouvoir faire des exploits, ce sont à présent les cadavres désabusés de jeunes gens idéalistes, parfaitement intégrés. Siegfried se trouvait donc face à un dilemme. Attaquer de front –très risqué- ou agir clandestinement –avec le risque de ne finalement que se faire répéter l’histoire en inventant un nouveau moyen d’intégrer ses frustrations et son désespoir pour changer un monde qui les a engendrés.